dimanche 6 novembre 2016

La vie douce

J'avais réservé les billets d'avion au milieu de la nuit.
Un aller-retour pour Rome à l'automne, il y a un an, exactement.
Je voulais vérifier que Borromini valait bien le Bernin. J'avais hâte de voir en vrai Sant'Ivo alla Sapienza.
J'ai listé sur un carnet les différents lieux indispensables mais pour une fois, aucun restaurant ni café, ça n'était pas le propos.
Le dernier voyage à Rome datait de l'été 2008. C'était celui de l'internat n°2, de la blouse en velours finement côtelée que j'ai portée jusqu'à l'épuiser et de La vie mode d'emploi partout avec moi. La place Navone m'avait déçue parce qu'elle n'était pas du tout comme dans les romans de Marguerite Duras mais j'avais ravalé ma tristesse et m'étais vengée sur les petits pots de crème glacée (fior di latte, mon parfum préféré). J'avais peu de souvenirs des choses vues, seules des sensations assez floues persistaient avec peine.
J'ai cherché un hébergement et je me suis aperçue qu'il est beaucoup plus simple de trouver un bel appartement de location à Rome plutôt que n'importe où dans les pays baltes. Ce fut la photographie d'une jolie cuisine qui détermina mon choix.
Nous sommes partis avec de toutes petites valises et dans un sac en tissu, au milieu des appareils photos, je glisse un roman d'Annie Ernaux. G. est occupé à lire Moby Dick.
Il fait très beau et très doux, je n'en ai rien à faire du milliard de touristes en présence. L'appartement tient toutes ses promesses et plus encore parce qu'il est situé juste en face d'un glacier... ouvert jusqu'à minuit.
Le premier soir, nous dînons dans une osteria qui s'appelle La Sol Fa mais que je m'obstine à nommer Obladi Oblada. Je suis épatée par des gnocchis servis avec une sauce aux kakis, avec du guanciale, du pecorino et beaucoup de poivre. Je me promets d'essayer au retour avec les kakis du jardin de mes parents.
Nous rentrons à l'appartement en grignotant des biscuits choisis avec soin dans une boulangerie rencontrée en chemin. J'avoue un faible pour ceux en forme de coeur à demi recouverts de chocolat. Les garçons en blouson qui traînaient aussi par-là avaient préféré partager de larges parts de pizza au salami piccante et à la pomme de terre.
Nous hésitons un peu en passant devant le glacier de notre rue mais ce serait idiot, vraiment... Ainsi resterons nous un certain temps à discuter autour de nos gobelets en papier où gisaient quelques traces fondues de nos goûts respectifs (orange sanguine, fior di latte, crème de marron, gianduja).
J'étais un peu trop fatiguée pour lire Annie Ernaux ce soir-là.
Les jours suivants, nous avons marché, marché sans relâche dans les rues pleines de soleil. Je suis à la fois émerveillée, émue et très apaisée devant les beautés croisées. La résistance des pierres me fascine. Les escaliers de Borromini m'apparaissent gracieux quand ceux du Bernin me semblent prétentieux. Dans l'église Saint Charles des quatre fontaines, il n'y a quasiment personne, il fait frais, la lumière est splendide, le travail de Borromini me donne le vertige. A Sant Ivo alla Sapienza, nous ressentons le besoin de rester discuter longtemps dans la cour ensoleillée et déserte avant d'aller déjeuner un peu par hasard à Maccheroni (il y avait de salade avec des poires et du parmesan et des rigatoni alla gricia).
Nous arpentons les quartiers, nous nous attardons dans les églises, au comptoir des bouis bouis de pizza al taglio, dans les galeries et les jardins. Nous croisons le Nuovo Sacher et je suis un peu gênée d'être émue (j'en rougis encore).
Tout près de l'appartement, il y a aussi une pasticceria formidable qui s'appelle Regoli. Nous allons y boire un café ou une orange pressée en cédant à la tentation d'un gâteau à la crème. Nous en repartons avec des cannoli ou des sfogliatelle.
Souvent le soir, après le dîner dans des quartiers éloignés, nous rentrons à pieds à l'appartement et il nous arrive de longer le Colisée. On le voit tellement partout, c'est comme la tour de Pise, une image un peu ringarde de Rome. Mais la nuit, aux côtés de G. dont la conversation me passionne toujours autant plus d'une décennie après notre rencontre, le Colisée était terriblement inédit et émouvant chaque fois qu'on le contournait lentement.

3 Comments:

Anonymous Carole said...

Deux belles surprises aujourd'hui, merci !
bon dimanche :)

6 novembre 2016 à 16:24  
Anonymous Marjane said...

J'ai terriblement envie de prendre un billet pour Rome!
Délicieux ce billet comme toujours.

19 novembre 2016 à 11:07  
Anonymous Slow Down said...

C'est fou comme tu sais nous conter l'ambiance de tes voyages, des villes et des pays que tu visites. Tu te fonds dans la dolce vita et on se retrouve dans Rome à tes côtés, avec bonheur! Dans quel quartier avais tu trouvé à te loger?

28 novembre 2016 à 22:49  

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